Fermeture administrative débit de boisson et référé liberté (L. 521-2 CJA)
- remy PHILIPPOT
- il y a 1 jour
- 9 min de lecture

L'ordonnance du juge des référés du TA de Paris du 27 août 2025 est intéressant en ce qu'il suspend l'exécution du Préfet de Police portant fermeture administrative pour un délai de 9 jours d'un débit de boisson du fait de nuisances sonores sur la base de l'article L. 521-2 CJA et, ce alors qu'il ne restait que 3 jours d'exécution de la décision au moment de l'ordonnance.
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Tribunal administratif de Paris, 27 août 2025, 2524484
: Par une requête, enregistrée le 25 août 2025, la société Nouveau Chalet du Lac, représentée par Me Bouboutou, demande au juge des référés statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre, avec effet immédiat, l'exécution de l'arrêté du 21 août 2025 par lequel le préfet de police a prononcé la fermeture de l'espace extérieur " La Beach " au sein de l'établissement qu'elle exploite sous l'enseigne " Le Chalet du Lac " pour une durée de neuf jours ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, alors qu'elle se trouvait déjà dans une situation économique fragile ayant été placée en procédure de sauvegarde selon un jugement du tribunal de commerce du 7 mars 2022 et faisant l'objet, depuis le 6 juin 2023 d'un plan de sauvegarde pour l'apurement du passif, la mesure en litige aura pour effet d'occasionner une perte de chiffre d'affaire d'environ 48 000 euros ; qu'en outre l'espace extérieur, dénommée " La Beach " est un atout important pour elle à cette période, au moment du retour des parisiens à la fin du mois d'août ;
elle a ainsi investi des sommes importantes pour l'exploitation de cet espace de l'ordre de 167 000 euros et elle doit faire face à des charges fixes importantes en termes de rémunérations et de redevances d'occupation domaniale et doit, par ailleurs s'acquitter de frais d'énergie payés selon un échéancier à hauteur de 16 008,91 euros par mois ainsi que des dettes vis-à-vis de ses fournisseurs pour un montant total de 30 635,28 euros ;
que cette mesure s'étend sur deux fins de semaines cruciales pour l'exploitation de cet espace extérieur pour lequel trois privatisations avaient été faites pour les 27, 28 et 29 août - soit pendant la période de fermeture - pour un prix de base payé par les organisateurs de 12 000 euros TTC par soirée ; que la décision litigieuse lui causera également un préjudice d'image susceptible de décourager sa clientèle et de la conduire à se détourner vers d'autres établissements ;
- l'arrêté en litige porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre dès lors que l'arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique dans la mesure où la réalité des nuisances sonores qui lui sont reprochées n'est pas établie compte tenu de la faible intensité et du caractère momentané des bruits constatés ; les plaintes des riverains, qui fondent en réalité la mesure contestée, sont dénuées de précision et de valeur probante quant au lien entre les troubles dénoncés et l'activité de l'établissement, notamment de son espace extérieur " La Beach ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2025, le préfet de police conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie, car ni l'ampleur du préjudice financier de la fermeture du seul espace extérieur " La Beach " pour une courte durée, ni le préjudice d'image de l'établissement, ne sont établis ; en outre les multiples nuisances occasionnées par la diffusion de musique amplifiée par l'établissement " Le Chalet du Lac ", notamment à partir de l'espace extérieur " La Beach " justifient le maintien de la mesure de fermeture ; - les moyens soulevés ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, eu égard à la réalité des nuisances sonores liées à l'exploitation de l'établissement et principalement de son espace extérieur. Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Rohmer pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 26 août 2025 en présence de Mme Grivalliers, greffière d'audience, M. Rohmer a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Bouboutou, représentant la société Nouveau Chalet du Lac et accompagné de M. A, M. D, qui conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens et indique en outre que l'arrêté se fondant sur le seul code de la santé publique, les développements en défense relatifs à la réglementation acoustique prévue par le code de l'environnement sont inopérants ou même révèlent une erreur de droit, que les procès-verbaux produits en défense ne sont pas suffisamment circonstanciés et ne portent que sur des constats établis à proximité quasi-immédiate de l'établissement, que les plaintes des riverains produites en défense et concernant la période incriminée ne proviennent que de riverains de la copropriété La Villa André Moynet située à plus de 100m alors que les procès-verbaux ne relèvent la présence de bruit que dans un périmètre maximal de 50m ; - les observations de M. C, représentant le préfet de police et accompagné de M. B, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire par les mêmes moyens et précise que l'arrêté ne se fonde effectivement que sur le code de la santé publique, et que la mesure contestée est bien nécessaire dès lors qu'il s'agit du seul moyen de faire cesser les troubles constatés de longue date et que l'établissement fait l'objet de nombreuses plaintes du voisinage. La clôture de l'instruction a été fixée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
: 1. La société Nouveau Chalet du Lac exploite sous l'enseigne " Le Chalet du Lac " un établissement, situé à l'orée du Bois de Vincennes, avenue de Bel Air, rue de Charenton dans le 12ème arrondissement, ayant une activité de débit de boissons, discothèque et restaurant et comportant un espace extérieur dénommé " La Beach ". Par un arrêté du 21 août 2025, pris sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, et notifié le jour-même, le préfet de police a prononcé la fermeture administrative pour une durée de 9 jours de l'espace extérieur " La Beach " de cet établissement. La société Nouveau Chalet du Lac demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
3. D'une part, si la mesure de fermeture en litige concerne le seul espace extérieur " La Beach " pour une durée de 9 jours s'étendant du jeudi 21 août 2025 au vendredi 29 août 2025 inclus, il résulte de l'instruction que des privatisations de cet espace sont prévues, en vertu d'engagements pris antérieurement à la mesure contestée, pour les soirées des 27, 28 et 29 août 2025 pour un prix de base, hors prestations supplémentaires, de 12 000 euros TTC pour chaque soirée. Ainsi, à la date de la présente ordonnance, la perte de chiffres d'affaires liée à la poursuite de l'exécution de l'arrêté contesté s'élèvera à 36 000 euros, ce qui risque de placer la société, compte tenu de ses charges fixes et de sa situation financière, en situation de manque de liquidité. A ce titre, il résulte également de l'instruction que la société a fait l'objet d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui a été arrêté par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 juin 2023 et qu'elle a d'importantes charges fixes, le montant de la redevance d'occupation du domaine public s'élevant à plus de 45 000 euros mensuels et la masse salariale à 84 350 euros brut mensuel.
Dans ces circonstances, la société requérante doit être regardée comme justifiant, à la date de la présente ordonnance et malgré la circonstance qu'il ne reste que trois jours d'exécution de la mesure contestée, d'une situation d'urgence particulière au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements () 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publique, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. Le représentant de l'Etat dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l'exploitant s'engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d'un permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1 ". 5. Pour ordonner la fermeture de l'espace extérieur " La Beach " de l'établissement Le Chalet du Lac pour une durée de neuf jours, le préfet de police a relevé, d'une part, que, les 23 mai 2025, 12 juin 2025, 13 juin 2025 et 21 juin 2025, les effectifs de police ont procédé au contrôle administratif de l'établissement " Chalet du Lac " et ont constaté la diffusion depuis l'espace extérieur dénommé " La Beach " de sons amplifiées " depuis la voie publique, qui a généré un tapage de nature à gêner gravement le voisinage " et la présence de plusieurs clients " qui ont provoqué par leurs éclats de voix des nuisances sonores gênant gravement le voisinage " et, d'autre part, que le 26 juin 2025 les services de police ont de nouveau constaté " ces troubles à l'ordre publique ". Le préfet de police relève également, en se fondant sur un rapport du pôle musique et sons amplifiés au sein de la direction des usagers et des police administratives de la préfecture, que lors d'un contrôle réalisé le 26 juillet 2025, des anomalies ont été relevées par l'inspecteur de sécurité sanitaire et notamment un dysfonctionnement de l'écran du limiteur SNA qui n'a pas permis d'extraire les enregistrements des niveaux sonores et qui rendait également impossible l'extraction des enregistrements à compter du 26 juillet 2025. Enfin le préfet relève que les éléments transmis le 1er août 2025 par la société révèlent des mesures de son dépassant les limites admises. 6. En l'espèce, il résulte toutefois des procès-verbaux produits en défense que si des nuisances sonores ont effectivement été constatées les 23 mai, 12 juin, 13 juin et 21 juin 2025 entre 23h20 et 00h35, ces dernières n'étaient audibles qu'à une distance comprise entre 30 et 50 mètres de l'établissement de la société requérante alors que les premières habitations se situent à près de 100 mètres. Par ailleurs, si la préfecture de police fait état de plaintes des riverains, et produit à ce titre plusieurs plaintes et mains courantes, ces seuls éléments, qui proviennent toutes de riverains de la copropriété la Villa André Moynet, laquelle se situe à environ 100 mètres de l'établissement, ne sauraient à eux seuls permettre d'établir la gravité des nuisances alléguées alors, qu'à l'inverse, le constat d'huissier établi le 8 juillet 2025 à la demande de la société requérante ne fait état, à la suite des mesures réalisées, d'aucune nuisance sonore susceptible par leur ampleur de gêner le voisinage. La seule critique par l'administration de l'installation technique du limitateur de bruit, en ce que celui-ci ne permettrait pas de contrôler les mesures de bruit de la musique amplifiée lors des soirées au sein de l'établissement, de même que la mention de mesures anormales " plusieurs fois par soirée " dans les éléments transmis le 1er août 2025 par la société, sont insuffisantes pour établir la réalité ou l'ampleur des nuisances alléguées. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la nature des faits reprochés à la société Nouveau Chalet du Lac et des éléments de preuve de ces nuisances apportés en l'état de l'instruction, le préfet de police a, en prononçant une fermeture de neuf jours de l'espace extérieur " La Beach " de l'établissement Le Chalet du Lac, entaché sa décision d'une disproportion manifeste et porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre.
Par suite, il y a lieu de suspendre les effets de l'arrêté du préfet de police du 21 août 2025. Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société Nouveau Chalet du Lac au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de l'arrêté attaqué du préfet de police du 21 août 2025 est suspendue. Article 2 : L'Etat versera à la société Nouveau Chalet du Lac une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Nouveau Chalet du Lac et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police. Fait à Paris, le 27 août 2025. Le juge des référés,
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