Suspension d'agrément d'assistant familial
- remy PHILIPPOT
- 23 juil.
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Le TA de Nantes décide en matière de suspension d'agrément que
" Ainsi, la seule existence de signalements ne saurait, en l'absence de la moindre précision apportée sur les faits en cause, suffire à conférer à ceux-ci un caractère suffisant de vraisemblance de nature à justifier du bien-fondé de la mesure de suspension de l'agrément d'assistant familial de M. B".
Tribunal administratif de Nantes, 12ème Chambre, 18 juillet 2025, 2301052
: Par une requête enregistrée le 22 janvier 2023, M. A B, représentée par Me Cacciapaglia, demande au tribunal : 1°) d'annuler la décision du 30 novembre 2022 par laquelle le président du conseil départemental de la Sarthe a suspendu son agrément d'assistant familial pour une durée ne pouvant excéder quatre mois ; 2°) d'enjoindre au président du conseil départemental de la Sarthe de procéder au rétablissement de son agrément d'assistant familial et de lui confier de nouveau les enfants précédemment accueillis à son domicile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge du département de la Sarthe le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'est pas établi que la décision litigieuse ait été signée par une autorité compétente ; - cette décision n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure tiré du défaut de saisine pour information de la commission consultative paritaire départementale (CCPD) ; -
elle méconnaît le principe général des droits de la défense dès lors que son dossier administratif ne lui a pas été communiqué et que la commission consultative paritaire départementale n'a pas été informée de la décision de suspension d'agrément ;
elle méconnaît les dispositions de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles ; elle méconnaît l'intérêt de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles ;
elle n'est pas fondée sur des faits existants ou suffisants ;
le caractère d'urgence n'est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2025, le président du conseil départemental de la Sarthe conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés ; - les conclusions à fin d'injonction de la requête, tendant au rétablissement de l'agrément d'assistant familial du requérant, sont dépourvues d'objet dès lors que, par une décision du 24 mars 2023, il a procédé au maintien de cet agrément. Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Gourmelon, présidente-rapporteure, - les conclusions de Mme Milin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
1. M. A B, employé par le département de l'Eure-et-Loir dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, s'est vu délivrer un agrément en qualité d'assistant familial le 13 octobre 2015 par le département de la Sarthe, pour une place d'accueil. Son agrément a été renouvelé le 13 octobre 2020 sans limitation de durée. A la suite d'un signalement faisant état d'une suspicion d'infraction à caractère sexuel commise envers l'un des enfants accueillis à son domicile dans le cadre de son activité professionnelle, le président du conseil départemental de la Sarthe a, par une décision du 13 juin 2022, suspendu son agrément pour une durée ne pouvant excéder quatre mois. Par une décision du 10 octobre 2022, et après avoir recueilli l'avis de la commission consultative paritaire départementale s'étant réunie le 4 octobre 2022, il a finalement rétabli l'agrément de M. B. A la suite de nouveaux éléments d'alerte signalés au département de la Sarthe concernant une suspicion de faits à caractère sexuel commis par M. B sur un enfant accueilli à son domicile dans le cadre de son activité d'assistant familial, le président du conseil départemental de la Sarthe a, par une décision du 30 novembre 2022, de nouveau suspendu son agrément. M. B demande au tribunal d'annuler cette dernière décision. Sur les conclusions à fin d'annulation : Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ;
2. Aux termes de l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile. Son activité s'insère dans un dispositif de protection de l'enfance, un dispositif médico-social ou un service d'accueil familial thérapeutique. Il exerce sa profession comme salarié de personnes morales de droit public ou de personnes morales de droit privé dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ainsi que par celles du chapitre III du présent livre, après avoir été agréé à cet effet. / L'assistant familial constitue, avec l'ensemble des personnes résidant à son domicile, une famille d'accueil ". En vertu de l'article L. 421-3 de ce code, l'agrément est accordé aux assistants familiaux qui offrent des conditions d'accueil garantissant la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " () Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, () procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. / Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément () doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis. Dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient, dans l'intérêt qui s'attache à la protection de l'enfance, de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux. Il peut procéder à la suspension de l'agrément lorsque ces éléments revêtent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et révèlent une situation d'urgence, ce dont il lui appartient le cas échéant de justifier en cas de contestation de cette mesure de suspension devant le juge administratif, sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu'une procédure pénale serait engagée, à laquelle s'appliquent les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale.
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 30 novembre 2022 suspendant l'agrément d'assistant familial de M. B après le retrait d'une première décision de suspension prononcée le 13 juin 2022, se fonde sur de nouveaux éléments d'alerte, recueillis par le parquet dans le cadre de l'enquête pénale en cours, et la répétition de signalements portant sur une suspicion de faits à caractère sexuel que le requérant aurait commis envers des enfants accueillis à son domicile. Si des faits caractérisant une suspicion d'agression sexuelle peuvent effectivement justifier, au nom de l'urgence, la suspension d'un agrément d'assistant familial dans l'intérêt de la santé, de la sécurité et de l'épanouissement des enfants accueillis, il appartient au département de déterminer si les éléments d'information recueillis sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est exposé à de tels comportements ou risque de l'être.
5. Toutefois, le département de la Sarthe n'a entendu apporter, dans le cadre de la présente instance, aucune précision sur la teneur des éléments portés à sa connaissance par le parquet dans le cadre de l'enquête pénale en cours, ni sur les signalements répétés allégués, en dépit de la demande que lui a adressée le tribunal pour compléter l'instruction, tendant à la communication, de toutes informations utiles sur les suites de l'enquête pénale ordonnée à l'encontre de M. B. Il n'a par ailleurs produit aucun autre élément permettant au tribunal d'apprécier le caractère suffisant de vraisemblance et de gravité des faits en cause au motif du caractère non communicable des faits rapportés dans les signalements, en raison de la procédure judiciaire en cours.
Ainsi, la seule existence de signalements ne saurait, en l'absence de la moindre précision apportée sur les faits en cause, suffire à conférer à ceux-ci un caractère suffisant de vraisemblance de nature à justifier du bien-fondé de la mesure de suspension de l'agrément d'assistant familial de M. B.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander l'annulation de la décision du 30 novembre 2022 par laquelle le président du conseil départemental de la Sarthe a suspendu son agrément d'assistant familial. Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à la décision litigieuse du 30 novembre 2022, le président du conseil départemental de la Sarthe a, par une décision du 24 mars 2023, informé le requérant du maintien de son agrément d'assistant familial, dans les mêmes termes, soit pour une place d'accueil. Ce faisant, il doit être regardé comme ayant procédé au rétablissement de l'agrément dont la suspension prononcée le 30 novembre 2022 est contestée dans le présent litige. Dans ces circonstances, les conclusions à fin d'injonction par lesquelles M. B sollicite le rétablissement de son agrément et la réintégration des enfants accueillis à son domicile ont perdu leur objet en cours d'instance. Il n'y a plus lieu d'y statuer. Par voie de conséquence, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'astreinte qui leur sont associées. Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du département de la Sarthe, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 30 novembre 2022 du président du conseil départemental de la Sarthe est annulée. Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte de la requête. Article 3 : Le département de la Sarthe versera à M. B la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au département de la Sarthe. Délibéré après l'audience du 27 juin 2025, à laquelle siégeaient : Mme Gourmelon, présidente-rapporteure, Mme Martel, première conseillère, M. Cordrie, conseiller, Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2025. La présidente-rapporteure, V. GOURMELON L'assesseure la plus ancienne dans l'ordre du tableau, C. MARTEL La greffière, Y. BOUBEKEUR La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, La greffière,
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