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IEF: Refus d'autorisation d'instruction en famille, intérêt de l'enfant et référé suspension



Tribunal administratif de Toulouse, 10 juillet 2024, 2403871


lVu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 26 juin 2024, Mme E C et M. B C, représentés par Me Habib, demandent au juge des référés : 1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision du 16 mai 2024 par laquelle la commission académique de l'académie de Toulouse a rejeté leur recours administratif préalable obligatoire à l'encontre de la décision du 28 mars 2024 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de Haute-Garonne a refusé leur demande d'autorisation d'instruction dans la famille pour leur enfant A, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ; 2°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Toulouse de leur délivrer l'autorisation d'instruire en famille leur enfant A, dans l'attente du jugement au fond ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :- l'urgence à suspendre résulte, d'une part, de l'échec de la scolarisation antérieure, par le handicap de l'enfant et par les préconisations des professionnels qui le suivent, par le fait que la scolarité à domicile est un fonctionnement qui lui convient bien et qui semble correspondre à ses besoins en termes de rythme et de stimulation et, en n, par le sentiment d'exclusion qu'il ressentirait dans la mesure où d'autres enfants de la fratrie bénéficient déjà de l'instruction en famille ;

- la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée est remplie ;

- le refus n'est pas motivé

;- le refus est entaché d'erreur de droit ou à tout le moins d'erreur d'appréciation ; l'académie est allée, à tort, rechercher " la nécessité " ou non d'une instruction en famille de A ;

- l'administration n'a pas étudié l'instruction la plus conforme à l'intérêt de l'enfant, alors que le projet d'instruction en famille a précisément été élaboré en fonction de cet intérêt, au regard de ses troubles et des préconisations des professionnels de santé.

Par un mémoire, enregistré le 5 juillet 2024, le recteur de l'académie de Toulouse conclut au rejet de la requête. Il fait valoir, d'une part, que les conclusions à n d'injonction sont irrecevables, faute de présenter un caractère provisoire et, d'autre part, que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête, enregistrée le 26 juin 2024 sous le n° 2403827, tendant, notamment, à l'annulation de la décision attaquée. Vu :- le code de l'éducation ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 2021 1109 du 24 août 2021 et notamment son article 49 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente du tribunal a désigné M. Rives, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. à 14 h 30, en présence de Mme Tur, gref ère d'audience, M. Rives a lu son rapport et a entendu :- les observations de Me Habib, qui conclut aux mêmes ns par les mêmes moyens développés dans ses écritures,- les observations de Mme C qui maintient les termes de sa requête,- et les observations de Mme D, représentant le recteur de l'académie de Toulouse, qui conclut aux mêmes ns par les mêmes moyens. La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience. Considérant ce qui suit :

1.Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justife et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2 , de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. () ". En n aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 de ce code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justi er de l'urgence de l'affaire ". Sur la n de non-recevoir opposée en défense : Au cours de l'audience publique du 8 juillet 2024

2.Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ".

3.Dans le cas où est ordonnée la suspension de l'exécution d'une décision de rejet d'une demande, il appartient au juge des référés, après avoir mentionné avec précision le ou les moyens qu'il a retenus, d'assortir le prononcé de la suspension des obligations qui en découleront pour l'administration.

4.Si, dans le cas où les conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut suspendre l'exécution d'une décision administrative, même de rejet, et assortir cette suspension d'une injonction, s'il est saisi de conclusions en ce sens, ou de l'indication des obligations qui en découleront pour l'administration, les mesures qu'il prescrit ainsi doivent, conformément à l'article L. 511-1 du code de justice administrative, présenter un caractère provisoire. Il suit de là que le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision.

5.En l'espèce, le recteur de l'académie de Toulouse fait valoir que les conclusions à n d'injonction, tendant à ce qu'il lui soit enjoint de délivrer à M. et Mme C l'autorisation d'instruire en famille leur enfant A, sur le fondement du 1° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, en raison de son état de santé, sont irrecevables, dès lors qu'il n'appartient pas au juge des référés de prononcer une injonction qui, eu égard à l'objet de la mesure qu'il prescrit et à ses effets, ne présente pas le caractère d'une mesure provisoire. Toutefois, si le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision attaquée, il lui appartient néanmoins nécessairement, dans le cas où est ordonnée la suspension de l'exécution d'une décision de rejet d'une demande, d'assortir le prononcé de la suspension des obligations qui en découleront pour l'administration à titre provisoire, dans l'attente de l'intervention du jugement au fond

La fin de non-recevoir opposée en défense doit donc être écartée.

Sur les conclusions à fin de suspension :

En ce qui concerne l'urgence :

6.Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suf samment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justi fiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

7.La décision litigieuse a directement pour effet de contraindre les requérants d'inscrire dès maintenant l'enfant A, en vue de le scolariser en septembre 2024, dans un établissement scolaire en capacité de l'accueillir. La condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans ces conditions, être regardée comme remplie.

En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision du 16 mai 2024 :

8.Aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire dénie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. / Les mêmes formalités doivent être accomplies dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence. / La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : / 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; / 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; / 3° L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; / 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire. Elle peut être accordée pour une durée supérieure lorsqu'elle est justifiée par l'un des motifs prévus au 1°. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de délivrance de cette autorisation. / L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation peut convoquer l'enfant, ses responsables et, le cas échéant, les personnes chargées d'instruire l'enfant à un entretien a n d'apprécier la situation de l'enfant et de sa famille et de véri er leur capacité à assurer l'instruction en famille. / En application de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé pendant deux mois par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation sur une demande d'autorisation formulée en application du premier alinéa du présent article vaut décision d'acceptation. / La décision de refus d'autorisation fait l'objet d'un recours administratif préalable auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie, dans des conditions xées par décret. / Le président du conseil départemental et le maire de la commune de résidence de l'enfant sont informés de la délivrance de l'autorisation () ". Pour la mise en œuvre de ces dispositions, dont il résulte que les enfants soumis à l'obligation scolaire sont, en principe, instruits dans un établissement d'enseignement public ou privé, il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à ce que l'instruction d'un enfant dans la famille soit, à titre dérogatoire, autorisée, de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d'une part dans un établissement d'enseignement, d'autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l'issue de cet examen, de retenir la forme d'instruction la plus conforme à son intérêt.

9.En premier lieu, pour justifier sa décision du 28 mars 2024, la commission de recours relative aux demandes d'autorisation d'instruction dans la famille de l'académie de Toulouse a considéré que " la famille n'apporte pas d'éléments nécessitant de recourir à l'instruction en famille ", que " des aménagements pédagogiques pourront être convenus en début d'année avec l'établissement scolaire " et que " la notification [de la décision] de la Maison Départementale des Personnes Handicapées qui date de 2023, prononce une orientation vers l'enseignement ordinaire. ".

Toutefois, les dispositions législatives et réglementaires encadrant la délivrance d'une autorisation d'instruction en famille en raison de l'état de santé de l'enfant ne limitent pas la délivrance d'une telle autorisation au seul cas où l'état de santé de l'enfant fait obstacle à toute scolarisation. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 16 mai 2024.

10.En second lieu, il résulte des éléments versés à l'instruction, notamment de nature médicale, que A, né le 7 mars 2013, présente des troubles de la cognition se manifestant par des difficultés marquées sur le plan du langage oral et sur le versant expressif, une surcharge cognitive altérant la mémoire de travail auditivo-verbale, un raisonnement logique fragile et des troubles attentionnels se traduisant par une lenteur globale des capacités exécutives. Un bilan en ergothérapie réalisé le 21 mars 2024 fait état d'une suspicion de trouble développemental de la coordination et relève de plus l'existence d'une dyslexie et d'une dysphasie. Par ailleurs il résulte des propres déclarations de l'enfant que son expérience passée de scolarisation en milieu ordinaire s'est révélée traumatique, celui-ci indiquant s'y être senti stigmatisé et harcelé en raison de ses troubles, ce qui a entrainé une détérioration significative de son état psychologique et une surcharge émotionnelle. Dans ce contexte, le compte rendu d'évaluation psychométrique réalisé le 22 juin 2022 conclut que " la scolarité à domicile est un fonctionnement qui lui convient bien et qui semble correspondre à ses besoins en termes de rythme et de stimulation ". Le certificat médical établi le 6 mars 2024 par le médecin généraliste de A parvient à une conclusion identique. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision dont la suspension est demandée méconnaît l'intérêt de l'enfant est, lui également, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11.La mesure de suspension implique que le recteur de l'académie de Toulouse délivre à M. et Mme C une autorisation d'instruction dans la famille pour leur enfant A à titre provisoire, dans l'attente du jugement de la requête au fond n° 2403827. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder sans délai à compter de la noti cation de la présente ordonnance. Sur les frais liés au litige : 12.Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens. O R D O N N E : Article 1er : L'exécution de la décision du 16 mai 2024 par laquelle la commission académique de l'académie de Toulouse a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé à l'encontre de la décision du 28 mars 2024 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de Haute-Garonne a refusé la demande d'autorisation d'instruction dans la famille pour l'enfant A C, est suspendue. Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Toulouse de délivrer sans délai à M. et Mme C une autorisation d'instruction dans la famille pour leur enfant A à titre provisoire, dans l'attente du jugement de la requête au fond n° 2403827. Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : La présente ordonnance sera noti ée à Mme E C, à M. B C et au ministre de l'éducation nationale. Une copie en sera adressée au recteur de l'académie de Toulouse

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