top of page
philippotremy

Arrêté de mise en sécurité et limite du pouvoir de police du maire

Tribunal administratif d'Orléans, 3ème Chambre, 29 mars 2024, 2004714


Vu la procédure suivante

 : Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 décembre 2020 et le 31 août 2021, Mme B A, représentée par Me Gentilhomme, avocat, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d'annuler l'arrêté du 26 juin 2020 de la maire de Villaines-les-Rochers portant interdiction de pénétrer dans certaines parties de sa propriété située dans cette commune, 50 rue de la Galandière ; 2°) subsidiairement, de réformer cet arrêté en supprimant l'interdiction d'accès aux caves et le cas échéant en faisant supporter la charge des travaux à la commune de Villaines-les-Rochers ; 3°) de mettre à la charge de la commune une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Mme A soutient que : - en méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'arrêté attaqué, qui constitue une mesure de police, n'a pas été précédé de la mise en œuvre d'une procédure contradictoire ; - il n'existait aucune situation de danger susceptible de fonder l'arrêté attaqué ; - en tout état de cause, la mesure d'interdiction prononcée est disproportionnée ; - l'arrêté attaqué est entaché de détournement de pouvoir, en ce qu'il a pour objet de récupérer la propriété des caves en faisant abstraction des règles habituelles en matière d'acquisition amiable ou forcée de biens privés par les personnes publiques ; - l'arrêté ne prend pas en compte la cause réelle de la menace d'effondrement, provenant d'un défaut de gestion des eaux pluviales de la voirie communale ; l'arrêté ne prévoit pas de réparer ces désordres ; - la maire a commis un détournement de procédure, ou pour le moins une erreur de base légale, en se fondant sur les articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales au lieu des articles L. 511-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation ; il y a lieu en outre de s'interroger sur la réelle pertinence et sur l'indépendance technique de l'avis rendu par le syndicat intercommunal " Cavités 37 " ; - si le tribunal devait requalifier l'arrêté attaqué comme constituant un arrêté de péril, il devra être constaté que la procédure contradictoire inhérente à la procédure de péril n'a pas été respectée ; en outre, l'arrêté devra en ce cas être annulé pour erreur de fait et en raison du caractère disproportionné de la mesure ; subsidiairement, le tribunal pourra réformer l'arrêté contesté. Par des mémoires enregistrés le 26 mars 2021 et le 23 juin 2022, la commune de Villaines-les-Rochers, représentée par Me Morin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme A sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés. Mme A a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mai 2021. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ; - le code général des collectivités territoriales ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Dorlencourt, - et les conclusions de Mme Doisneau-Herry, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit

 : 1. Mme A est propriétaire à Villaines-les-Rochers (Indre-et-Loire) d'une parcelle cadastrée section B n° 1958, prolongée par des cavités souterraines qui se développent en partie sous une voie communale. A la demande de la requérante, ces caves ont fait l'objet au mois de juillet 2019 d'un diagnostic de stabilité réalisé par le syndicat intercommunal Cavités 37. Cette étude, qui a fait l'objet d'une diffusion auprès de la mairie, relève que la cave n° 1 a déjà été affectée par un effondrement et que des évolutions sont à attendre. L'étude conseille d'entreprendre des travaux de renforts préventifs dans cette cave afin de stabiliser la rue et permettre une circulation en toute sécurité dans la cave. L'étude relève également quelques points de fragilité dans les autres caves, en préconisant que ces fragilités soient traitées en fonction de l'utilisation de chacun des développements, avec au minimum une surveillance des désordres. A la demande de la maire de Villaines-les-Rochers, le syndicat a procédé, au mois de mai 2020, à une nouvelle visite à l'issue de laquelle la géologue a indiqué que les préconisations de la précédente étude restaient applicables et que, dans l'attente des travaux et eu égard au risque résiduel de chutes de blocs, l'interdiction de fréquenter la cave n° 1 pourrait être formalisée par un arrêté de police du maire, les caves n° 2 et n° 3 devant quant à elles ne faire l'objet que d'une circulation ponctuelle, et en aucun cas par du public, tant que des travaux de renfort n'auront pas été réalisés. Par un arrêté du 26 juin 2020, la maire de Villaines-les-Rochers a interdit, sauf pour les personnes dûment autorisées et chargées de suivre l'évolution de la situation ou de prendre des mesures propres à y remédier, tout accès à la cave n° 1, ainsi que l'accès aux caves n° 2 et n° 3 sauf pour une utilisation exceptionnelle par les propriétaires. Mme A demande l'annulation de cet arrêté. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. D'une part, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale () ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : () / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels () ". Aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances () ". 3. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d'une façon générale, ils n'offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique, dans les conditions prévues à l'article L. 511-2. Toutefois, si leur état fait courir un péril imminent, le maire ordonne préalablement les mesures provisoires indispensables pour écarter ce péril, dans les conditions prévues à l'article L. 511-3 () ". Aux termes de l'article L. 511-2 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " I. - Le maire, par un arrêté de péril pris à l'issue d'une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret en Conseil d'Etat, met le propriétaire de l'immeuble menaçant ruine, et le cas échéant les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 511-1-1, en demeure de faire dans un délai déterminé, selon le cas, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au péril ou les travaux de démolition, ainsi que, s'il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les bâtiments contigus () / Si l'état du bâtiment, ou d'une de ses parties, ne permet pas de garantir la sécurité des occupants, le maire peut assortir l'arrêté de péril d'une interdiction d'habiter et d'utiliser les lieux qui peut être temporaire ou définitive () / Cet arrêté précise la date d'effet de l'interdiction () ". Enfin aux termes de l'article L. 511-3 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate. / Si le rapport de l'expert conclut à l'existence d'un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l'évacuation de l'immeuble () ". 4. Les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les dispositions précitées des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, qui s'exercent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, désormais remplacées par les procédures de mise en sécurité ordinaire ou d'urgence, qui doivent être mises en œuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres. Toutefois, en présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l'exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées. 5. Pour prendre la mesure d'interdiction contestée, la maire de Villaines-les-Rochers a fait usage des pouvoirs de police qu'elle tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment du diagnostic établi par la syndicat intercommunal Cavités 37, que le danger que la maire a entendu prévenir, consistant en la chute de blocs provenant des voûtes des caves, résulte de l'évolution naturelle de ces cavités et de phénomènes classiques de décompression de flanc de vallée et provient ainsi à titre prépondérant de causes propres à l'immeuble au sens des principes rappelés au point précédent. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que le risque de chute de blocs ne peut en l'espèce être regardé comme créant une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent - la maire de Villaines-les-Rochers n'ayant d'ailleurs pris l'arrêté attaqué que près d'un an après que le diagnostic initial du syndicat intercommunal Cavités 7 a révélé l'existence de ce danger. Par suite, la maire ne pouvait légalement faire usage de ses pouvoirs de police générale. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme A est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 26 juin 2020 contesté. Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance : 6. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la commune de Villaines-les-Rochers doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter également la demande présentée par Mme A sur le fondement de ces dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 26 juin 2020 susvisé de la maire de Villaines-les-Rochers est annulé. Article 2 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus. Article 3 : Les conclusions de la commune de Villaines-les-Rochers tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et à la commune de Villaines-les-Rochers. Délibéré après l'audience du 15 mars 2024, à laquelle siégeaient : M. Dorlencourt, président, Mme Le Toullec, première conseillère, Mme Dicko-Dogan, conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024. L'assesseure la plus ancienne, Hélène LE TOULLEC Le président-rapporteur, Frédéric DORLENCOURT La greffière, Isabelle METEAU La République mande et ordonne au préfet d'Indre-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

11 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page