Tribunal administratif de Marseille, 22 mai 2024, 2404347
Vu la procédure suivante
: Par une requête, enregistrée le 2 mai 2024, M. A B, représenté par Me Bakayoko, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : 1°) de suspendre l'exécution de la décision du directeur du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) du 5 avril 2024 portant retrait de sa carte professionnelle d'agent privé de sécurité ; 2°) d'enjoindre au CNAPS de lui communiquer le dossier et les pièces le concernant si une enquête administrative a été diligentée à son encontre et de lui délivrer une carte professionnelle provisoire ou une autorisation provisoire d'exercer, dans l'attente du jugement au fond, dans un délai de 7 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge du CNAPS la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - la condition tenant à l'urgence est satisfaite, dès lors que la décision en litige préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation professionnelle et financière, faisant obstacle à ce qu'il honore son contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er décembre 2016 avec une société de sécurité et perçoive les revenus nécessaires à ce qu'il s'acquitte de ses charges et dépenses courantes, et qu'il est convoqué dans les prochains jours à un entretien préalable pouvant conduire à son licenciement ; - il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, dès lors que : elle est entachée d'un défaut de motivation en fait ; elle est intervenue en méconnaissance du principe du contradictoire ; * elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure et d'une erreur d'appréciation. Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 et 21 mai 2024, le CNAPS conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition tenant à l'urgence n'est pas satisfaite et que le requérant ne soulève aucun moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige.
Vu :
- la requête au fond n° 2404340 ; - les autres pièces du dossier. Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de la sécurité intérieure ; - le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné Mme Jorda-Lecroq, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique du 22 mai 2024 : - le rapport de Mme Jorda-Lecroq ; - les observations de Me Bakayoko, représentant M. B, présent, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens, en précisant que son entretien préalable à un éventuel licenciement a été reporté au 28 mai 2024 et délocalisé à Toulouse et que la décision contestée a entraîné une dégradation subite de son état de santé psychologique ayant nécessité la mise en place d'un traitement médicamenteux ; - le CNAPS n'était pas représenté. La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
: 1. M. B est titulaire d'une carte professionnelle d'une durée de validité de cinq ans l'autorisant à exercer une activité privée de sécurité de gardiennage ou de surveillance humaine pouvant inclure l'usage de moyens électroniques, délivrée par le directeur du CNAPS le 27 août 2020, à la suite de la délivrance d'une première carte professionnelle l'ayant autorisé à exercer une telle activité, sous couvert de laquelle il a conclu le 1er décembre 2016 un contrat à durée indéterminée d'agent privé de sécurité avec une société de sécurité. Dans le cadre de ce contrat et de son avenant, il était en dernier lieu affecté sur deux sites qualifiés de zone à régime restrictif (ZRR), avec une clause d'exclusivité et une procédure d'habilitation pour l'accès aux informations ou supports classifiés au niveau " confidentiel défense ". M. B a saisi le tribunal d'un recours en annulation contre la décision du CNAPS du 5 avril 2024 portant retrait de sa carte professionnelle d'agent privé de sécurité et, dans l'attente du jugement au fond, demande au juge des référés d'en suspendre l'exécution.
Sur les conclusions aux fins de suspension :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". En ce qui concerne l'urgence :
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B est convoqué prochainement à un entretien préalable pouvant conduire à son licenciement et qu'il justifie que son salaire est nécessaire à ce qu'il puisse s'acquitter de ses charges et dépenses courantes. Il est ainsi établi que la décision en litige préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation financière et professionnelle pour que la condition d'urgence puisse être regardée comme satisfaite, le CNAPS ne contestant pas utilement cette condition en se bornant à faire valoir qu'il exerce une mission de protection de l'ordre public et que le retrait d'une carte professionnelle fait partie des décisions susceptibles d'être prises au titre de son pouvoir de régulation de la profession des agents privés de sécurité. En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision :
5. Aux termes de l'article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure : " Nul ne peut être employé ou affecté pour participer à une activité mentionnée à l'article L. 611-1 : / 2° S'il résulte de l'enquête administrative, ayant le cas échéant donné lieu à consultation, par des agents du Conseil national des activités privées de sécurité spécialement habilités par le représentant de l'État territorialement compétent et individuellement désignés, des traitements de données à caractère personnel gérés par les services de police et de gendarmerie nationales relevant des dispositions de l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification, que son comportement ou ses agissements sont contraires à l'honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État et sont incompatibles avec l'exercice des fonctions susmentionnées ; / () / La carte professionnelle peut être retirée lorsque son titulaire cesse de remplir l'une des conditions prévues aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° du présent article. / () / En cas d'urgence, le directeur du Conseil national des activités privées de sécurité peut retirer la carte professionnelle. En outre, le représentant de l'État peut retirer la carte professionnelle en cas de nécessité tenant à l'ordre public ".
6. La décision en litige du 5 avril 2024 procède au retrait de la carte professionnelle dont est titulaire M. B au motif qu'il ressort " des éléments portés à la connaissance du CNAPS que [l'intéressé] a un comportement de nature à compromettre ou faciliter des actes de violence lors de l'exercice de ses fonctions, ce qui représente, compte tenu des missions confiées à un agent de sécurité, en contact avec le public, un risque sécuritaire ; qu'au regard de la sensibilité des missions confiées aux agents privés de sécurité et de la nécessité qui en découle de vérifier qu'ils présentent toutes les garanties nécessaires à la préservation de la sécurité publique, à laquelle ils concourent, le comportement de M. B est incompatible avec l'exercice de ses fonctions ".
7. Pour justifier le bien-fondé de la décision en litige, le CNAPS produit, en cours d'instance contentieuse, un extrait du fichier des personnes recherchées, ainsi qu'une note blanche des services de renseignement dont il ressort que M. B " s'est signalé durant l'année 2015 pour son appartenance au groupuscule ultra-nationaliste et national-socialiste " Mouvement Populaire Nouvelle Aurore - MPNA et sa proximité avec son leader ". Cette note indique à cet égard que M. B a été chargé en septembre 2014 par ce leader de diffuser aux membres de MPNA le lieu de rassemblement organisé par ce groupuscule pour mener une action consistant à recouvrir d'un drap blanc le buste commémoratif représentant Missak Manouchian, haute figure de la Résistance, et à lire un texte pour le déshonorer, et a été par la suite régulièrement sollicité par ce leader pour se rendre à diverses manifestations, commémorations et actions, étant apparu tout au long de l'année 2015 comme appartenant au cercle proche de ce leader, lequel a été interpellé en 2017 pour faits d'apologie publique d'acte de terrorisme commis au moyen d'un service de communication public en ligne et association de malfaiteurs terroriste et condamné à 9 ans de prison.
8. Il ne ressort des pièces du dossier ni que M. B soit inscrit au fichier de " Traitement des antécédents judiciaires " ni que des condamnations figurent sur son casier judiciaire. Les faits mentionnés dans la note blanche produite, repris au point précédent, eu égard à leur ancienneté et leur nature, ne sauraient suffire à établir que le comportement actuel de M. B apparaît de nature à compromettre ou faciliter des actes de violence lors de l'exercice de ses fonctions, le CNAPS ne faisant valoir aucun comportement répréhensible ou notable récent de la part de l'intéressé, dont la carte professionnelle a, au demeurant, été renouvelée en 2020 ainsi que cela a été exposé et dans les conditions précisées au point 1 de la présente décision.
9. Dans ces circonstances, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans la mise en œuvre des dispositions du 2° de l'article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure apparaît de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. 10. Il résulte de tout ce qui précède que les deux conditions d'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont satisfaites. Il y a par suite lieu de suspendre l'exécution de la décision du directeur du CNAPS du 5 avril 2024 portant retrait de la carte professionnelle de M. B, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité. Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. La présente ordonnance implique que le CNAPS délivre à M. B une carte professionnelle provisoire, valable jusqu'à l'intervention du jugement au fond. Il y a lieu d'enjoindre au CNAPS de procéder à cette délivrance dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte. Sur les frais liés au litige : 12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNAPS la somme de mille euros au titre des frais exposés par M. B et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de la décision du directeur du CNAPS du 5 avril 2024 portant retrait de la carte professionnelle de M. B est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité. Article 2 : Il est enjoint au directeur du CNAPS de délivrer une carte professionnelle provisoire à M. B, valable jusqu'à l'intervention du jugement au fond, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Article 3 : Le CNAPS versera à M. B la somme de mille euros au titre de dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au Conseil national des activités privées de sécurité. Fait à Marseille, le 22 mai 2024. La juge des référés, Signé K. Jorda-Lecroq La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme Pour la greffière en chef, La greffière
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