Tribunal administratif de Rouen, 23 mai 2024, 2303036
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Vu la procédure suivante
: Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 juillet 2023 et le 6 octobre 2023, le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS) défère au tribunal, comme prévenue d'une contravention de grande voirie, la société Armement Cherbourgeois et conclut à ce que le tribunal : 1°) constate que les faits établis par le procès-verbal du 5 juillet 2023, constituent la contravention prévue et réprimée notamment par l'article R. 5337-1 du code des transports ; 2°) condamne la société Armement Cherbourgeois au paiement de l'amende de 8 000 euros prévue par les articles L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 5337-5 du code des transports ; 3°) condamne la société Armement Cherbourgeois au remboursement des frais auxquels il a lui-même été exposé, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le GPFMAS soutient, dans le dernier état de ses écritures, que : - Il justifie de la compétence de l'auteur de la saisine du Tribunal ; - Le navire de pêche ayant pour armateur la société Armement Cherbourgeois est entré dans le bassin Théophile Ducrocq malgré la présence de feux lui interdisant de faire mouvement; - Le tir de fusée de détresse ne constitue pas le fondement de sa saisine du Tribunal ; - Les faits sont constitutifs d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée notamment par l'article R. 5337-1 du code des transports ; - Le contrevenant, dont le navire a une longueur hors tout supérieur à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres, est passible d'une amende d'un montant de 8 000 euros par application des dispositions combinées des articles L 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 5337-5 du code des transports. Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2023, la société Armement Cherbourgeois, représentée par Me Mathieu Croix et Me Peter Langlais, cabinet STREAM, conclut au rejet de la requête et à ce que l'État soit condamné à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'auteur de la saisine n'avait pas compétence pour saisir le tribunal administratif ; - les faits de tir de fusée de détresse ne sont pas établis ; - le montant de l'amende exigée est disproportionnée et une éventuelle condamnation porterait atteinte à une liberté fondamentale.
Vu :
- le procès-verbal du 5 juillet 2023 ; - la notification du procès-verbal à la société Armement Cherbourgeois, comportant invitation à produire une défense écrite ; - les autres pièces du dossier. Vu : - le code général de la propriété des personnes publiques ; - le code des transports ; - le code pénal ; - le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné Mme C pour statuer sur les litiges visés à l'article L. 774-1 du code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus à l'audience publique : - Le rapport de Mme C, - Les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
: Sur la régularité de la saisine du tribunal : 1. Aux termes de l'article L. 5337-3-2 du code des transports : " Dans les grands ports maritimes mentionnés au 1° de l'article L. 5331-5, dans le cas où une contravention de grande voirie a été constatée, le président du directoire du grand port maritime saisit le tribunal administratif territorialement compétent dans les conditions et suivant les procédures prévues au chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative, sans préjudice des compétences dont dispose le préfet en la matière. Il peut déléguer sa signature à un autre membre du directoire./ Il en va de même dans les grands ports fluvio-maritimes, pour l'ensemble du domaine public, dans le cas où une contravention de grande voirie a été constatée. Le président du directoire du grand port fluvio-maritime peut également déléguer sa signature à un directeur délégué pour les contraventions de grande voirie constatées dans son ressort territorial. ".
2. Il résulte de l'instruction que par une décision n°2022-01-DS-DTH-DG-DGD du 31 janvier 2022, M. B A, directeur général délégué en charge de la direction territoriale du Havre, a reçu délégation du président du directoire du Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS) à l'effet notamment de signer les documents et actes nécessaires à l'ouverture et à la poursuite d'une procédure de contravention de grande voirie, et notamment le courrier de transmission de cet acte au tribunal administratif compétent et tous les mémoires produits dans le cadre de cette instance. Par suite, M. B A était bien compétent pour saisir le tribunal administratif. Sur la contravention de grande voirie :
3. Aux termes de l'article L. 5334-5 du code des transports : " Dans les limites administratives du port maritime et à l'intérieur de la zone maritime et fluviale de régulation mentionnée à l'article L. 5331-1, tout capitaine, maître ou patron d'un navire, d'un bateau ou de tout autre engin flottant est tenu d'obtempérer aux signaux réglementaires ou aux ordres donnés, par quelque moyen que ce soit, par les officiers de port, officiers de port adjoints ou surveillants de port concernant le mouvement de son navire, bateau ou engin ". Aux termes de l'article L. 5337-1 du même code : " Sans préjudice des sanctions pénales encourues, tout manquement aux dispositions du chapitre V du présent titre, à celles du présent chapitre et aux dispositions réglementant l'utilisation du domaine public, notamment celles relatives aux occupations sans titre, constitue une contravention de grande voirie réprimée dans les conditions prévues par les dispositions du présent chapitre ".
4. Il résulte des termes du procès-verbal, établi le 5 juillet 2023 et communiqué à la société Armement Cherbourgeois, que, le 30 mars 2023, le navire de pêche " MARIBELISE " lui appartenant est entré dans le bassin Théophile Ducrocq du port du Havre malgré les feux de trafics le lui interdisant. Le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, établit ces faits, qui ne sont d'ailleurs pas contestés. La société Armement Cherbourgeois soutient, en revanche, que la circonstance que des feux de détresse auraient ensuite été tirés de l'un de ses deux navires a été rapportée par un tiers non assermenté et ne peut dès lors être regardée comme établie. Toutefois, les faits mentionnés au sein du procès-verbal relatifs au lancement de fusées de détresse ne sont pas ceux qui font l'objet des poursuites. Les faits litigieux, matériellement établis par le procès-verbal précité, sont contraires aux dispositions de l'article L 5334-5 du code des transports et constituent une contravention de grande voirie, non atteinte par la prescription, imputable à la société Armement Cherbourgeois.
5. Aux termes de l'article L. 5337-5 du code des transports : " Le fait, pour un capitaine, maître ou patron d'un navire, d'un bateau ou de tout autre engin flottant de ne pas obtempérer aux signaux ou aux ordres conformément aux dispositions de l'article L 5334-5 est passible d'une amende calculée comme suit : () / 2° Pour le navire, bateau ou autre engin flottant d'une longueur hors tout supérieur à 20 mètres et inférieur ou égale à 100 mètres : 8 000 euros ; (). ". 6. Lorsqu'il retient la qualification de contravention de grande voirie s'agissant des faits qui lui sont soumis, le juge est tenu d'infliger une amende au contrevenant. Alors même que les dispositions précitées ne prévoient pas de modulation des amendes, le juge, qui est le seul à les prononcer, peut toutefois, dans le cadre de ce contentieux répressif, moduler leur montant dans la limite du plafond prévu par la loi et du plancher que constitue le montant de la sanction directement inférieure, pour tenir compte de la gravité de la faute commise, laquelle est appréciée au regard de la nature du manquement et de ses conséquences. Il en résulte, s'agissant du bateau de la société Armement Cherbourgeois d'une longueur de 22,40 mètres, que l'amende que doit infliger le juge à l'intéressée à raison d'un manquement constitutif d'une contravention de grande voirie, est nécessairement comprise entre la somme de 8000 euros, maximum possible pour les bateaux d'une longueur supérieure à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres, et 500 euros, maximum possible pour les bateaux d'une longueur inférieure ou égale à 20 mètres.
7. D'une part, si la société Armement Cherbourgeois soutient que les faits s'inscrivent dans un contexte de mouvement national des pêcheurs de sorte que toute condamnation reviendrait à porter atteinte à la liberté d'expression, le GPFMAS soutient, sans être nullement contredit, que les faits précisément reprochés, soit l'entrée dans le bassin Théophile Ducrocq alors que les feux l'interdisaient, sont différents de ceux commis par les navires manifestants lesquels se sont bornés à bloquer l'avant-port du Havre. L'amende qu'il est demandé au Tribunal de prononcer a, ainsi, pour but de sanctionner le fait de ne pas avoir obtempéré aux signaux réglementaires et non le fait d'avoir participé à un mouvement de grève.
8. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'entrée dans le bassin Théophile Ducrocq du navire " MARIBELISE " a eu lieu alors que s'y trouvaient notamment des navires transportant des matières dangereuses. Compte tenu de la gravité d'un tel manquement qui n'a toutefois emporté aucune conséquence, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Armement Cherbourgeois, au paiement d'une amende de 4 000 euros. Sur les frais liés au litige :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à cette condamnation. 10. Les dispositions citées au point 9 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Armement Cherbourgeois dirigées contre l'Etat selon ses conclusions, ou contre le GPFMAS, qui ne sont pas parties perdantes. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions au demeurant non chiffrées du Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine présentées sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La société Armement Cherbourgeois est condamnée à payer une amende de 4 000 euros. Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la société Armement Cherbourgeois présentées sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent jugement sera notifié au Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine pour notification à la société Armement Cherbourgeois dans les conditions prévues à l'article L. 774-6 du code de justice administrative. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024. La magistrate désignée, signé A. CLe greffier, signé H. TOSTIVINT La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre chargé des transports en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, La greffière, Signé S. Combes
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